Mon cher ami!
                      Au fond de mon humble rétraite,
ou sommeillant, ma pauvre âme se déchiquette,
daignez me rétrouver avec vos yeux bénins,
je suis comme autrefois ces royals capucins,
dont le vieux Charles-Quint fut le plus digne exemple...

Daignez me retrouver, ami, si bon vous semble!
J'ai perdu, j'ai perdu toute ma royauté,
mais j'ai gardé pour vous toute ma loyauté,
j'ai perdu - ou plutőt rénoncé de mes forces. -
Qui pourra faire me révivre? Vos amorces!
Je vous écrits des vers, qui etes seulement
dont je veux réclamer un applaudissement,
vous etes mon public, vénéré, jeune maître!
le seul public, de qui content je pourrais etre.

Avec votre régard bénin et triomphant
daignez me rétrouver, prodigieux enfant!
Si d'un public plus large aujourd'hui la démence
m'a pris, et si au rang de champions je m'élance,
croyez-le, mon ami, c'est par vous seulement.
Vous suivre je voudrais, comme le fer l'aimant
Poëte, comme vous, ami, je voudrais etre!

Daignez me rétrouver et daignez me connaître.
Car non, parmi tous ces misérables rimeurs,
tous ces rosseurs de paille et payés escrimeurs,
qui ton beau temple antique, ő poésie hongroise,
assiégeant sans scrupule et sans aucune angoisse,
souillant d'un pas frivole et fou plutőt qu'hardi
l'héritage d'Arany et de Vörösmarty -

non, je n'y voudrais etre - un des plus vaines tetes:
si je ne verrais vous et ce que vous y faites
vous comme leur sauveur, a mes yeux restaurez
la gloire antique de nos aieuls décorés
et bien que des marchands crient dans la portique,
je vous vois, pretre digne, au dédans, extatique
vous, vous, vőtre vouloir, et vos nobles desseins! -
Vous expiez ... mes yeux pour tous ces coquins.

Et puis, apres tout, quant a faire la besogne
quant a donner le pain toujours et que maint trogne
fait pour les journaux - sans etre présomtueux:
ne pourrais-je ce faire y tout aussi bien qu'eux? -
Mais que ne parlé-je, que toujours de moi-meme?
C'est ennuieux et triste et fatiguant, ce theme
ce mon theme éternel, auquel je ne peux fuir -
que ne suis-je dur, tanné, comme le cuir? -
Mais pourtant j'y fuirai. Mais j'écrirai un drame
réaliste, objectif, lit de répos de l'âme
des vues d'Appolon ou mon coeur se nagea - -
mes personnages - grands fous - je les ai déja:
un pestien nerveux, une vieille hystérique
un porteur villageois, décrépit, alcoolique -
c'est bonne compagnie, enfin, ou me voil...!
eh bien! parmi ces gens mon âme se fuira.

Mais vous, dont je suis fier, vous etes un poëte,
libre, âcre, alerte, sain, plein de vigueur de tete
plein de vigueur de coeur. Les dieux vous ont donnés
dons des labeurs joyeux avant tout. Pardonnez,
si je vous importune et si je vous lamente -
Et puis - écrivez-moi! Ce terreur me tourmente,
que vous m'oubliez, que vous etes las de moi,
bien digne de ce sort. C'est un cruel éffroi
bien dérivé de la mauvaise conscience...

Écrivez par pitié et par condescendence
comme le roi de Prusse au Voltaire exilé.
Mauvais moine, je suis, capucin rétiré,
comme feu Charles-Quint, cet autre "roi de Prusse".

Daignez me rétrouver sous mon humble capuce!

1906. aug. 18.